Les journalistes seraient tous pareil : blanc, issu d’un milieu aisé et en résume loin de la réalité… C’est de ce constat, dont on tire là les traits, qu’on été créés il y a plusieurs années des dispositifs d' »égalité des chances », afin de donner l’occasion à tous les jeunes, quelque soit leur classe sociale, d’intégrer un établissement parmi les quatorze écoles de journalisme reconnues en France. Pour quel bilan ? Bessma Sikouk et Soraya Boubaya, étudiantes à l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille), ont réalisé une enquête afin de voir si ces dispositifs avaient réellement changé quelque chose. Celle-ci a été publiée sur le site d’Acrimed.
« La Chance et la prépa Egalité des chances (EDC) (NDLR : les deux principaux organismes proposant un tel accompagnement) sont deux dispositifs qui sélectionnent et soutiennent chaque année une centaine d’étudiants, sur critères sociaux (obligation d’être boursier) et de motivation, dans leur préparation aux concours d’entrée aux écoles de journalisme », présente l’enquête. Des cours sont organisés avec des journalistes intervenants, des concours blancs pour s’essayer au vrai ainsi que des visites de rédaction afin d’offrir, aux candidats, une immersion dans le journalisme et une culture solide dans le domaine.
Ces dispositifs vont surtout au-delà puisque les frais de déplacement pour se présenter aux concours, alors qu’on compte des écoles de journalisme dans toute la France, sont pris en charge, tout comme les frais d’inscription (quand il y en a pour les boursiers). Selon des données que nous avions réunis, disponibles sur la page « Quel est le prix de l’inscription aux concours des écoles de journalisme ? », il faut parfois débourser jusqu’à 300 euros pour s’inscrire aux concours, ce à quoi il faut ajouter les frais de déplacement et, si besoin, de logement. Pour les jeunes des dispositifs « égalité des chances », c’est donc une grosse épine du pied en moins. « Une fois que le problème financier a été réglé, les étudiants ont pu déployer leurs capacités », se réjouit Nordine Nabili.
Un problème chez les médias ?
Les résultats sont là. Chaque année, des dizaines d’étudiants sont sélectionnés parmi les dispositifs. Mi-juillet, La Chance révélait sur Twitter que parmi les candidats présentés cette année, 49 admissions avaient été prononcées (un même étudiant a pu avoir plusieurs admissions dans différentes écoles) dans douze des quatorze écoles de journalisme.
📢Les résultats de la promo 2020 sont là et ils sont historiques !
— LA CHANCE (@lachance_media) July 22, 2020
Une cinquantaine d'étudiant·e·s admis·e·s dans une formation en journalisme, dont 47 dans une école reconnue. Le record de 2019 -39 admis·e·s- est largement dépassé !
Un grand bravo à eux ! 👏👏 pic.twitter.com/FG0wXYr1ki
Mais dans les faits, les choses ont-elles vraiment changé ? Si le changement est opéré dans les écoles de journalisme, c’est moins le cas dans les rédactions, explique l’enquête sur les processus d’égalité dees chances publiée sur le site d’Acrimed. Les rédactions en chef n’auraient pas changé les schémas ni les processus de recrutement ne permettent pas de changer les profils des recrutés. Les responsables de La Chance n’ont pas dit autre chose, début juillet, dans une tribune publiée sur le site Internet de Ouest-France, titrée « Patrons des médias, ouvrez les portes ! »
Ils écrivent :
« Dans les médias d’information, les responsables du recrutement ne doivent pas échapper à leur examen de conscience. Malgré l’émergence de quelques têtes d’affiche bienvenues et en dépit des efforts salutaires des écoles de journalisme, le vœu d’une
juste représentationde notre société reste pieux à bien des égards. Voyez les polémiques liées à la diffusion desphotos de classedes grandes rédactions, trop souvent monochromes. »
Et l’association poursuit, dans la même tribune, et se questionne :
« S’exprimer avec
un accent, fût-il régional, ne doit plus apparaître comme un obstacle. Avoir uneorigineou un patronymeà consonance étrangèren’est pas un défaut. Qu’y a-t-il de honteux à être l’enfant d’un ouvrier, d’une femme de ménage ou d’un agriculteur ? La présence de tels profils, qualifiés trop hâtivement d’atypiques, contribue à la qualité du travail journalistique. Au-delà de nos frontières, beaucoup l’ont compris depuis longtemps.La diversité des CV et des parcours est une chance pour notre profession. Une chance, aussi, pour briser la défiance qui fait le nid des infox, l’un des périls majeurs pour notre démocratie. Une chance, enfin, pour se réinventer, à l’heure où une majorité des 15-24 ans s’informe sur les réseaux sociaux, auprès d’influenceurs et de nouveaux médias dits
alternatifs.Pour la crédibilité et la légitimité des journalistes, il est urgent d’œuvrer à une meilleure représentativité des sensibilités, des visages et des voix. C’est aussi un devoir de justice sociale pour notre jeunesse. Et pour les médias, une question de survie. »
Message entendu ? L’avenir le dira. Mais une chose est certaine : si les médias ne suivent pas le mouvement amorcé par les écoles de journalisme grâce aux dispositifs d’égalité des chances, que ce soit sur le recrutement ou l’avancement de personnes issues de la diversité, alors l’image du journaliste blanc issu d’un milieu aisé perdurera. Au risque d’être totalement déconnecté de la réalité.